2016-05-19

Exclu IslamNews : Entretien avec Elchin Amirbayov, Ambassadeur de l'Azerbaïdjan en France (IslamNews.fr)

Notre journaliste s’est rendu à l’ambassade de lAzerbaïdjan à Paris pour s’y entretenir avec monsieur Elchin Amirbayov, ambassadeur de ce pays en France, à Monaco et auprès du Saint-Siège. Nous avons voulu en savoir plus sur ce pays dont la majorité des habitants sont de confession musulmane (plus de 90%).

 

Monsieur l’ambassadeur, de quoi vit l’Azerbaïdjan ? 

 

Tout d’abord, je vous remercie de votre intérêt. Permettez-moi de commencer par quelques mots pour situer un peu l’Azerbaïdjan pour vos lecteurs. L’Azerbaïdjan est une république présidentielle laïque avec la population de 9 millions d’habitants et un territoire de 86 600 km2.  C’est le plus grand pays du Caucase du Sud par sa démographie et sa superficie. L’Azerbaïdjan a été depuis des temps reculés un berceau de la civilisation humaine et l’un des plus anciens foyers d’implantation et de succession des religions aussi bien polythéiste (Zoroastrisme) que monothéistes (Judaïsme, Christianisme et Islam). De cette histoire millénaire, elle a su forger une identité forte, s’enrichissant des cultures variées qui s’y sont entremêlées.

En effet, l’Azerbaïdjan est un carrefour des civilisations, un point sur l’ancienne Route de la Soie, un « pont naturel » entre Nord-Sud et Est-Ouest. C’est un pays qui a développé depuis des siècles des traditions étatiques. C’est un pays qui s’est tourné vers les valeurs républicaines il y a près de cent ans, quand en 1918 la proclamation de la République Démocratique d’Azerbaïdjan à marqué le début de l’acceptation juridique de certaines valeurs européennes en Orient musulman comme la création du Parlement National, la garantie des droits et libertés individuelles et l’octroi aux femmes du droit de vote en 1919. La République Démocratique d’Azerbaïdjan de 1918-1920 constitue la première tentative réussie d’établir un régime laïque et démocratique dans le monde musulman. Malheureusement, cette République n’a duré que 23 mois, car le 28 avril 1920 l’Armée Rouge des bolcheviks a occupé l’Azerbaïdjan et le pays a intégré en 1922 l’URSS. C’est seulement en 1991, suite à la chute de l’Union Soviétique, que l’Azerbaïdjan a retrouvé son indépendance.

L’Azerbaïdjan est un pays avec une très ancienne histoire et un riche patrimoine culturel. On dit que nos racines sont beaucoup plus profondes que nos ressources en hydrocarbures  qui, elles aussi bien sûr, nous ont permis ( nous sommes 20è producteur de pétrole et de gaz naturel dans le monde) de développer, de moderniser le pays et d’augmenter le niveau de vie de nos concitoyens. L’économie de l’Azerbaïdjan a presque triplée de 2004 à 2010, avec le PIB qui a doublé ces dernières années, totalisant à elle seule, près de 75% du PIB de tous les trois pays du Caucase du Sud. La croissance est élevée, de l’ordre de 34,5 % en 2006 et 29,3 % en 2007 selon la Banque mondiale.

Nous exportons notre pétrole directement vers nos clients à l’Occident mais aussi vers la Russie par des routes différentes grâce à la stratégie réussite de diversification des routes de transportations de nos ressources naturelles vers des marchés étrangers.

Cependant, nous sommes aussi conscients de la nécessité de ne pas rester toujours dépendant de la seule richesse en hydrocarbures. C’est pourquoi nous travaillons depuis déjà une décennie à la diversification de notre économie.

Plus de 170 milliards d’euros provenant du côté de l’industrie pétrolière et gazière ont été investis dans l’économie azerbaïdjanaise depuis 20 dernières années, y compris pour la diversifier.

 

Nous avons l’ambition de faire de l’Azerbaïdjan un hub régional dans les domaines des technologies de l’informatique, du transport et de la recherche dans les métiers du spatial.

Pour développer le tourisme, nous avons travaillé l’aménagement de notre territoire pour le maîtriser et le rendre accessible à notre population et aux visiteurs, notamment par de grands travaux pour améliorer l’infrastructure, de nouvelles routes et le développement des chemins de fer. Nous travaillons pour contribuer à la restauration de la route de la Soie par le biais des connections de chemin-de-fer entre la Chine et l’Europe occidentale. Il ne faut pas oublier que notre pays a été visité par Marco Polo et Alexandre Dumas (père) et d’autres éminentes personnalités, qui en ont largement vanté la beauté.

Le nombre de touristes augmente. Chaque année, il y a davantage de Français. On peut dire qu’il n’y a que cinq heures de vol pour des tarifs tout à fait raisonnables (environ 400 euros le billet d’avion). C’est un pays fascinant qui mérite d’être découvert.

Sur le plan social, nous avons réussi à réduire le taux de pauvreté à 5% et nous ne relâchons pas les efforts pour que les 9 millions de nos concitoyens aient tous une vie digne.

 

Comment qualifiez-vous vos relations avec la France ?

 

 Elles sont très bonnes. Le dialogue politique se passe d’une manière très dynamique et constructive. Ces cinq dernières années on a eu plusieurs visites au niveau des chefs d’Etat des deux côtés. L’ancien président, Nicolas Sarkozy, ainsi que l’actuel président, François Hollande, sont venus trois fois en Azerbaïdjan. La France est notre 5è partenaire commercial. La coopération bilatérale est forte et a des perspectives importantes dans tous les domaines, y compris politique, économique, culturel et humanitaire. Les chiffres d’échanges commerciaux sont toujours en croissance et on est très intéressé par le développement de la coopération décentralisée entre nos deux pays, ce qui implique le renforcement des liens entre les régions, les villes, les communes françaises et azerbaïdjanaises.

Après avoir vécu pendant 70 ans sous un régime autoritaire, le pays s’est tourné de nouveau vers l’Occident. Héritier de la première République de 1918, l’Azerbaïdjan d’aujourd’hui, qui est membre du Conseil de l’Europe depuis 2001, de l’OSCE depuis 1992 et partenaire stratégique de l’Union Européenne, continue sur ce chemin vers la démocratisation et l’intégration des valeurs européennes.

C’est la raison pour laquelle on attache une grande importance au développement de nos relations aussi avec des pays de l’Europe occidentale comme  la France. Par ailleurs, la société azerbaïdjanaise est assez francophile en réalité. Nous aimons la culture française, sa cuisine, sa littérature. Plusieurs lycées de notre pays ont adopté la langue française comme première langue étrangère étudiée. Le Lycée français de Bakou a ouvert en 2014 et cet automne, on va inaugurer l’Université franco-azerbaïdjanaise à Bakou.

Enfin, la France est un des trois médiateurs principaux, ce qu’on appelle des co-présidents dans le cadre du Groupe de Minsk de l’OSCE – organisme international mandaté par l’ONU pour faciliter la résolution du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan autour de la région du Haut-Karabakh de l’Azerbaïdjan.

 

Et vos relations avec le monde musulman ?

 

Nous sommes partie intégrante du monde musulman, de la Oumma, tout en restant un pays fortement laïque. Nous sommes devenus, depuis la restauration de notre indépendance en 1991, un pays-membre de l’Organisation de la Coopération Islamique (l’OCI) et nous sommes solidaires sur toutes les questions qui préoccupent actuellement le monde musulman comme la question du règlement pacifique du conflit israélo-palestinien et du droit pour les Palestiniens d’avoir leur propre Etat souverain. L’Azerbaïdjan apprécie beaucoup le soutien fort et fidèle et la solidarité exemplaire de la part de l’OCI et de ses états-membres sur le dossier de l’agression militaire de l’Arménie contre l’Azerbaïdjan et de l’occupation illégale arménienne des territoires reconnus internationalement comme ceux de l’Azerbaïdjan. L’exemple le plus récent s’est produit lors de la 13ème Conférence au Sommet des chefs d’Etat et de Gouvernement de l’OCI qui vient de se terminer à Istanbul le 15 avril 2016, où fut réitérée la position de principe condamnant l’agression de la République d’Arménie contre la République d’Azerbaïdjan appelant à la résolution du conflit de Haut-Karabakh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan sur la base de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’inviolabilité des frontières internationalement reconnues de la République d’Azerbaïdjan. La Conférence a condamné dans les termes les plus forts les attaques meurtrières menées par les forces armées arméniennes dans les territoires occupés de la République d’Azerbaïdjan, durant lesquelles la population civile a été prise pour cible, les mosquées attaquées, les fidèles en prière tués et les infrastructures économiques et sociales détruites. Elle a souligné la nécessité de mettre davantage de pression sur l’Arménie, en usant pour cela des moyens politiques, économiques et autres mesures coercitives afin d’amener l’agresseur à se plier aux demandes et décisions de l’OCI. La Conférence a décidé de mettre en place, dans le cadre de l’OCI et au niveau des Ministres des Affaires étrangères, un Groupe de contact sur l’agression de la République d’Arménie contre la République d’Azerbaïdjan.

 

 

Comment fut géré l’après-guerre froide ?

 

Ce ne fut pas une période facile. Avec l’effondrement de l’URSS nous sortions de 70 ans de communisme où nous étions privés de liberté dans tous les domaines, y compris de la liberté de gérer nos richesses comme nous l’entendions. Par ailleurs, quand nous avons recouvert notre indépendance, nous avons réaffirmé notre attachement fort à notre souveraineté et notre laïcité même si nous nous sommes retrouvés dans une région du monde qui connaissait déjà quelques tensions. Aujourd’hui, l’Azerbaïdjan avec sa diplomatie équilibrée a réussi à nouer des relations de bon voisinage avec la Russie, l’Iran, la Turquie et aussi avec la Géorgie. Grâce à cette politique étrangère prudente, on est effectivement parvenu à maintenir de bonnes relations aussi bien avec la Russie qu’avec l’Occident, en affirmant notre volonté d’indépendance. L’Azerbaïdjan n’est candidat ni à une entrée dans l’OTAN, ni à une entrée dans l’Union européenne, ni à une entrée dans l’Union eurasiatique. C’est le seul pays dans l’espace ex-soviétique qui est élu depuis 1991 membre non-permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU ou il y a siégé dans les années 2012-2013 (sauf la Russie, membre permanent). Notre problème principal reste l’occupation étrangère de nos territoires et notre but clé c’est la restauration de notre intégrité territoriale et la récupération de nos terres ancestrales dans le Haut-Karabakh et sept provinces autour, ce qui correspond à un cinquième de notre territoire nationale.

 

 

Le multiculturalisme en Azerbaïdjan, ça se passe comment ?

 

L’Azerbaïdjan est très attaché au caractère laïc de l’Etat et à la tolérance religieuse. Depuis plusieurs années, l’Azerbaïdjan est devenu une plateforme naturelle pour le dialogue interculturel et interreligieux. On représente un nouveau modèle sociétal politico-culturel : multiethnique, multiculturel, multi-religieux, donc fortement laïc et progressiste, car on regarde vers l’avenir. Notre laïcité assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Notre pays est aujourd’hui le seul pays à majorité chiite qui s’affiche laïc et qui a développé de fortes traditions de tolérance religieuse et de respect mutuel.

 

La société azerbaïdjanaise est multiconfessionnelle. Il y a environ 65% de Chiites et environ 30% de Sunnites. Le reste sont les Chrétiens orthodoxes, protestants, catholiques et les Juifs. Mais je peux vous dire que chaque citoyen et chaque citoyenne de l’Azerbaïdjan a trouvé sa place dans le pays. Dans la mentalité des Azerbaïdjanais, il faut donner à chacun sa place et tout un chacun a le droit de choisir s’il veut ou ne veut pas pratiquer sa religion. Notre laïcité est le socle de cette coexistence pacifique et apaisée. Nous sommes un pays démocratique soucieux du bien-être de chacun. Aucun acte de discrimination ou de violence sur la base de religion n’est à déplorer chez nous. Nous voyons dans notre diversité notre force. Par ailleurs, l’Azerbaïdjan accueille depuis plusieurs années de grands événements internationaux comme, par exemple, le Forum Mondial du Dialogue Interculturel et Interreligieux, le Forum Mondial Humanitaire ou encore de grands événements culturels et sportifs comme les Premiers Jeux Européens. Cette année, les 26-27 avril le 7ème Forum Mondial de l’Alliance des Civilisations des Nations Unies se tiendra également à Bakou en présence du Secrétaire Général de l’ONU et de plusieurs chefs d’état et de gouvernement et nous accueillerons la Formula 1 Grand Prix 2016 en juin prochain.

 

 

Où en êtes-vous du conflit avec l’Arménie ?

 

C’est pour nous, comme j’ai dit avant, un problème terrible et profondément injuste. Le conflit qui a commencé dans les années 80 est toujours là avec ses conséquences tragiques et inadmissibles. L’Arménie occupe aujourd’hui 20% de notre territoire. Sous l’occupation illégale et illégitime étrangère sont non seulement la région du Haut-Karabakh mais aussi sept autres provinces d’Azerbaïdjan. Cette occupation a été condamnée par l’ONU comme par le Conseil de l’Europe car elle est en violation flagrante du droit international. En 1993, le Conseil de Sécurité de l’ONU a adopté 4 résolutions qui exigent le retrait immédiat, complet et sans conditions des forces arméniennes de tous les territoires occupés de l’Azerbaïdjan. Ces résolutions sont ignorés par l’Arménie. Ce conflit a en effet eu pour conséquence un million d’azerbaïdjanais qui, à cause de l’épuration ethnique perpétrée par l’Arménie dans les territoires azerbaïdjanais occupés, sont devenus réfugiés et déplacés en Azerbaïdjan. Personne n’en parle, c’est très peu médiatisé. Il y a un lobby arménien, surtout en France, qui s’est donné pour mission d’induire en erreur l’opinion publique française et de nous dénigrer et de nous faire passer pour de « méchants barbares musulmans » qui oppressent « les gentils arméniens chrétiens », alors que ce conflit n’a jamais été un conflit religieux. Mais qui occupe qui aujourd’hui ? Qui a, dans les années 90, commis une épuration ethnique avec un massacre commis par les Arméniens de la population civile azerbaïdjanaise dans la ville de Khodjaly dans le Haut-Karabakh ? Pourquoi ces 613 civiles, y compris les enfants, les femmes, les vieillards, ont été brutalement massacrés pendant une nuit, du 25 au 26 février 1992, seulement parce qu’ils étaient azerbaïdjanais ? Pourquoi ceux qui ont commis cet acte de génocide ne sont pas encore traduits en justice? Pourquoi sommes-nous devenus victimes du « deux poids, deux mesures » ? Les occupants arméniens ont détruit sans retenu dans cette région tout le patrimoine musulman. Et ensuite, ils vont crier partout que ce sont eux qui sont des victimes de l’agression et des massacres. La politique des autorités arméniennes aussi bien que celle du lobby arménien ici, en France, est le produit d’une mentalité pathétique prouvant que leur attitude est construite sur l’hostilité et la calomnie contre tout ce qui est azerbaïdjanais. Nous, en Azerbaïdjan, ne prêterons jamais attention à ceux qui remettent en question à chaque occasion une imposition de l’histoire qui est illégale, déconnectée des réalités, unilatérale et obsessionnelle. Ils ne reculent devant aucun amalgame et jouent sur toutes les ambiguïtés pour nous discréditer aux yeux du monde sans jamais apporter la moindre preuve.

 

Et pourquoi occupent-ils ces terres ?

Tout d’abord parce qu’ils profitent de l’impunité et de la politique du « deux poids deux mesures » de la part de la communauté internationale. Le président actuel de l’Arménie, Serjik Sarkissian, est un des organisateurs du massacre de Khodjaly et à ce jour il n’a pas été traduit en justice pour ce crime contre l’humanité.

La communauté internationale doit faire tout ce qui est nécessaire pour faire respecter, par l’Arménie, les dispositions du droit international, y compris les résolutions du Conseil de Sécurité. Même si, en réalité, l’Arménie n’est pas un pays indépendant qui prend ses décisions. C’est devenu un avant-poste des intérêts et pion d’autres pays avec une forte présence militaire étrangère dans son territoire. Sa politique est suicidaire. Ce pays pauvre se vide et est devenu prisonnier des amalgames historiques visant à désinformer l’opinion publique en France.

Et c’est vraiment dommage que certains élus français cautionnent cette propagande et cette désinformation pour des raisons électoralistes. Pour faire plaisir à leurs électeurs d’origine arménienne, ils violent le droit international et se mettent hors la loi azerbaïdjanaise en se rendant dans le Haut-Karabakh et d’autres territoires azerbaïdjanais occupés et en signant des conventions de la part des communes françaises avec des représentants du régime fantoche et illégal créé par l’Arménie dans les territoires occupés de l’Azerbaïdjan. C’est une atteinte totale et grave à la loi française et aux engagements internationaux de la France, qui a reconnu l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Azerbaïdjan dans ses frontières internationalement reconnues. Néanmoins, nous apprécions des efforts du gouvernement français destinés à trouver une solution juste, durable et équitable à ce conflit tragique, dans le cadre des normes et principes du droit international, et comptons sur sa capacité d’influence sur l’Arménie pour forcer celle-ci à s’asseoir autour de la table des négociations et à s’engager sérieusement dans le processus de paix.

Islamnews.fr

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