Comment la Russie peut mettre fin à l'épineuse question du Karabakh (Huffingtonpost.fr)
Alors que l'Azerbaidjan commémore les événements meurtriers qui se sont déroulés dans la localité de Khojaly, deuxième plus grande ville du Nagorno-Karabakh, territoire azerbaïdjanais occupé par l'Arménie voisine, causant le décès de plus de 600 personnes, le 26 février 1992, le conflit entre les deux voisins irréconciliables depuis que l'un et l'autre ait obtenu son indépendance de l'URSS, en cours de démantèlement avancé à cette époque, ne cesse d'obérer la stabilité et le développement du Caucase du Sud.
Situation d'autant plus paradoxale que la situation géographique des deux pays en fait, leurs meilleurs arguments pour les gigantesques ambitions eurasiennes de l'UE, de la Russie, de l'Iran, de la Turquie et de la Chine!
Le Sommet d'Achgabat, au Turkménistan, donnant naissance, en novembre dernier, au corridor dit de "Lapiz-Lazuli", a confirmé, du reste, que la libre circulation des biens et marchandises entre mer Noire, mer Caspienne et Asie centrale, était l'élément pivot des nouvelles routes de la Soie (notamment des investissements colossaux que va engendrer le projet chinois de "One Belt, One Road", lancé en novembre 2015).
Au regard de ces enjeux géo-économiques, vitaux pour une région en mal d'intégration économique et en quête de reconnaissance diplomatique, le conflit autour du Haut-Karabakh peut sembler quelque peu anachronique.
Pire, le "statu-quo" bientôt trentenaire, ne tenant qu'à un fil très ténu, le risque est désormais grand de voir ce conflit, plus ou moins gelé, depuis la Trêve du 12 mai 1994, être émaillé de plus en plus de reprises ponctuelles de la confrontation militaire, comme ce fut le cas en 2011 et en comme en atteste la reprise du conflit en avril dernier, qui aura couté la vie à plusieurs dizaines de militaires azerbaïdjanais et arméniens.
Nul ne peut contester, la reconnaissance de l'occupation par l'Arménie de 20% du territoire de l'Azerbaïdjan, soit sur le territoire du Haut-Karabakh et les 7 districts azerbaidjanais adjacents occupés par l'Arménie, comme en atteste les quatre résolutions onusiennes de 1993 ainsi que les positions prises au niveau de l'UE, de l'OSCE et du "Groupe de Minsk" (instance crée en 1992, coprésidée par la France, la Russie et les Etats-Unis, afin de veiller à la résolution du conflit).
Il en va de même avec la reconnaissance du caractère génocidaire des massacres de Khojaly, par une douzaine de Parlements nationaux à travers le monde et d'une vingtaine de Chambres des représentants des Etats fédérés des Etats-Unis.
Décisions juridiques, législatives et diplomatiques, qui, pour autant qu'elles fussent légitimes et importantes au regard de la recherche d'une solution viable pour les populations locales, ne pèsent réellement sur l'issue pacifique au conflit.
Car, cette réalité "stratégique", née des rapports de force de la fin de la guerre froide et de la fin de l'ex-URSS, ne saurait correspondre à la réalité d'aujourd'hui.
C'est à Moscou, à Istanbul, à Téhéran davantage qu'à Vienne, siège de l'OSCE, à Washington ou encore à Paris que réside la solution au conflit.
Ni la visite à Paris, la semaine dernière, du président arménien, Serge Sargsian, pas plus que celle de son homologue de Bakou, Ilham Aliyev, à l'occasion du 25ème anniversaire des relations diplomatiques entre la France et l'Azerbaïdjan, qui débute le 13 mars, en lui emboîtant le pas ne devrait changer fondamentalement la donne. Pire, ces visites séquencées dans le temps donnent l'image d'une diplomatie française, spectatrice de sa propre inaction, incapable, de prendre une initiative "convergente".
A force de naviguer à contre-courant, le risque est grand, en effet, à l'instar de la crise syrienne, que le rôle de médiation traditionnellement dévolue à la France, via le Groupe de Minsk, entre autres, ne pèse guère lourd face aux initiatives engagées par Vladimir Poutine, dès mars 2013 et encore récemment, en septembre dernier, à Saint-Pétersbourg, réunissant les deux parties adverses, sous son égide.
L'appartenance de l'Arménie à l'Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC, crée en 2002 par Moscou, comme outil de sécurité collective dans son voisinage, liant à la Russie, six de ses anciennes Républiques, devenues indépendantes au début des années 1990) est un élément déterminant du conflit opposant, depuis 25 ans, les deux Etats caucasiens.
Le rôle de la Russie n'a jamais été aussi prégnant et inhérent à toute solution pacifique. Moscou dispose ainsi d'un moyen de pression qui semble être le seul à faire bouger les lignes. Elle continue, néanmoins à le conditionner à l'entrée de l'Azerbaïdjan dans l'OTSC. Bakou refuse toujours...
L'Arménie, qui préside l'OTSC depuis 2008, bénéficie ainsi de systèmes d'armes sophistiqués (en particulier les missiles balistiques Iskander) et profite de la présence de plusieurs centaines de "conseillers" militaires russes sur son territoire. L'Azerbaidjan ne bénéficie pas, quant à elle, du même "traitement de faveur", devant acheter les armes que l'Arménie reçoit gratuitement.
Dans cette nouvelle configuration géopolitique, avons-nous encore les moyens de jouer notre rôle de médiateur et de garant de la paix dans la région? La reprise des conflits en avril dernier et ceux qui ont grandi en intensité, la semaine dernière prouvent le contraire.
L'Iran et la Turquie ne sont pas en reste, non plus, dans la recherche d'une solution pérenne de paix, de sécurité et de stabilité, comme en atteste la rencontre en aout dernier à Bakou, de Vladimir Poutine, Ilham Aliyev et Hassan Rohani et la relance par le président turc, Recep Tayyip Erdogan, d'une idée d'une plate-forme pour la stabilité au Caucase, laissée en jachère après la crise géorgienne de 2008.
L'Iran, ne cesse de rappeler, comme lors de la Conférence sur la sécurité de Munich, le mois dernier, par le truchement de son Ministre des Affaires étrangères, Mohammad Jawad Zarif que son pays était prêt à servir de médiateur, et ce en tant que puissance frontalière tant avec l'Arménie, l'Azerbaïdjan qu'avec les districts occupés du Karabakh.
Le Sommet de l'Economic Cooperation Organization (ECO), qui s'est tenu, au Pakistan, à Islamabad, il y a quelques jours, est venue confirmer avec emphase, cette "orientalisation" des relations internationales, via la mise en exergue de moult projets économiques régionaux.
Ces derniers, demeurent, de plus en plus, la condition sine quae non d'une sortie de crise durable, dont l'intérêt serait mutuel autant que partagé, le long d'une frontière entre les deux pays, reconnue par la Communauté internationale en 1991, puisqu'il s'agit de celles nées des indépendances des deux voisins ennemis, gagées par une Russie, de plus en plus encline à étendre son "rayon d'action" militaire et diplomatique au plus près de la zone conflictuelle au Moyen-Orient, dont elle, est devenue "garante", depuis son implication militaire lourde en Syrie, depuis septembre 2015.
Bref, l'intérêt de Moscou réside désormais dans la résolution des conflictualités dans son voisinage immédiat, celui de ce qu'elle appelait naguère son "étranger proche", afin de se consacrer pleinement en terme de capacité militaire et de moyens financiers, à sa double approche : eurasienne, caucasienne, centro-asiatique et continentale ; autant que méridionale, méditerranéenne et maritime.
Gageons que les présidents arméniens et azerbaidjanais sachent en saisir l'opportunité eu plus vite, invalidant les logiques "va-t'en-guerre" qui font florès à Erevan, à la veille des prochaines élections législatives du 2 avril prochain, d'un côté ; minorant l'augmentation importante du budget militaire de Bakou, de l'autre.
On dit souvent que pour faire la paix, il faut être deux. Dans le cas du conflit du Haut-Karabakh, il semble qu'il faille être trois et qu'à ce jeu-là, la balle est dans le camp de Moscou, comme sur la crise syrienne.