2020-09-30

“Ce n’est pas à l’Azerbaïdjan de faire la loi en France” : une maire menacée par la “pétro-dictature”

Bourg-lès-Valence, en Auvergne-Rhône-Alpes, est en plein conflit avec l'Azerbaïdjan. En effet, la ville française est jumelée avec Chouchi, une ville du Haut-Karabagh en conflit avec Bakou depuis 1991.

Bourg-lès-Valence, en Auvergne-Rhône-Alpes, se retrouve malgré elle impliquée dans un conflit géopolitique vieux de 29 ans. A quel motif ? La ville est jumelée avec la commune de Chouchi, dans le Haut-Karabagh également appelé l'Artsakh. Or, cette région est en conflit avec l'Azerbaïdjan, dont elle fait officiellement partie, depuis l'éclatement de l'URSS en 1991. Elle a déclaré son indépendance cette année-là et demande depuis à être soit rattachée à l'Arménie, soit à être considérée comme un pays indépendant. Aujourd'hui, aucun Etat de l'ONU ne reconnaît son indépendance, mais cela n'empêche pas la Mairie de Bourg-llès-Valence d'afficher ses liens d'amitié avec cette région.

L’Azerbaïdjan déterminé à faire céder  Bourg-llès-Valence

Une amitié qui pose lourdement problème à l'Azerbaïdjan qui ne cesse de faire pression directement ou indirectement sur la mairie de Bourg-llès-Valence pour qu'elle rompe tous liens avec Chouchi et l'Artsakh. "Aujourd’hui, je fais à nouveau l’objet de menaces et d’intimidations auxquelles je ne céderai pas et encore moins devant le dictateur de Bakou ni même devant ses alliés de Turquie" dénonce la maire de la ville française dans un communiqué. «En effet, trois sbires azéris sont venus en mairie le 25 août dernier pour m’intimer l’ordre de retirer dans l’heure le drapeau de l’Artsakh qui flotte aux cotés des drapeaux de nos villes jumelles avec lesquelles nous entretenons des liens d’amitié» précise Marlène Mourier.

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Dans ce même communiqué, elle met en garde les autorités azerbaidjanaises et leur intime de «cesser sans délais» leur «ingérence». «Ce n’est pas à l’Azerbaïdjan de faire la loi en France ! (…)À Bourg-lès-Valence, nous n’avons pas de leçons à recevoir de l’Azerbaïdjan, une « pétro-dictature » classée 168éme sur 180 par Reporter sans Frontières !» insiste la maire qui conclut son courrier en déclarant que «ni Bourg-lès-Valence, ni son Maire, Marlène Mourier, ne seront aux ordres de la dictature de Bakou !».

Ce conflit dure depuis 2016.  A cette époque déjà, Bakou avait déjà demandé à Bourg-lès-Valence de mettre fin à ses relations avec Chouchi et l'Artsakh, mais la ville avait refusé. Emmanuel Macron s'est depuis exprimé sur la question, et avait indiqué en février 2019 que la France a une «obligation juridique, autant qu’une question de principe, qui implique que nous ne puissions pas reconnaître les accords signés entre les municipalités ou les collectivités françaises et des autorités de fait du Haut-Karabagh». Des déclarations et ordres répétés qui ne font, apparemment, pas peur à Bourg-lès-Valence.


Voici le droit de réponse de l'ambassadeur de la République d'Azerbaïdjan en France, Rahman Mustafayev : 

Un article paru dans Valeurs actuelles, le 23 septembre dernier, faisait état des griefs de la Maire de Bourg-lès-Valence, Marlène Mourier, à l’encontre de mon pays, l’Azerbaïdjan. Je saisis ainsi l’occasion qui m’est donnée pour rétablir quelques faits qu’il me semble important de comprendre.

Tout d’abord, je tiens à rappeler que l’Azerbaïdjan ne fait 0ement pression la Mairie de Bourg-lès-Valence, mais réclame juste l’application pure et simple de la loi et le respect par la Mairie de la décision du Tribunal administratif de Grenoble. En effet, ce dernier déclarait, le 6 juin 2019, 0e et non avenue, la charte d’amitié conclue le 5 octobre 2014 par la ville de Bourg-Lès-Valence avec la ville de Choucha, commune se réclamant d’une entité illégale formée dans les territoires occupés du Haut-Karabagh de la République d’Azerbaïdjan. Il est utile, je crois, de rappeler qu’aucun état, y compris par la France, ne reconnait l’annexion de ces territoires, qui grève près de 20% du territoire souverainement reconnu de l’Azerbaïdjan.

Le Tribunal administratif de Grenoble, à l’instar des autres tribunaux administratifs et cours administratives d’appels saisis sur le même sujet, à savoir des chartes d’amitié et autres manifestations ou déclarations d’amitié par les Préfets de la Drôme, du Rhône, de l’Isère, de la Loire et du Val d’Oise, a rappelé qu’en concluant un tel acte juridique, les collectivités territoriales prennent sciemment position « dans une affaire relevant de la politique extérieure de la France, pour la définition de laquelle l’Etat dispose d’une compétence exclusive, en s’opposant aux orientations que celui-ci a défini dans le cadre des compétences qu’il tient de la Constitution ».

Au-delà du fait que ces agissements sont réalisés en violation du principe de neutralité que tout élu, y compris la Maire de Bourg-lès-Valence, doit observer, notamment eu égard à l'article L 1115-1 du Code général des collectivités territoriales, qui fonde juridiquement l'action extérieure des collectivités territoriales et qui prévoit, que "le respect des engagements internationaux de la France s'impose a toute action menée en la matière", c’est au titre de ces engagements internationaux de la France qu’il me semble important d’insister.

Il convient de rappeler que la France, en sa qualité de membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU, a voté en faveur des 4 résolutions - 822, 853, 874 et 884 adoptées en 1993, ce qui, par conséquent, l’engage en tant que pays Coprésident du Groupe de Minsk. Pour mémoire, conforment à leur mandat daté du 23 mars 1995 « les Coprésidents du Groupe de Minsk devraient être guidés dans leurs activités par les principes et normes de l'OSCE, la Charte de l’ONU et les résolutions correspondantes du Conseil de Sécurité de l'ONU ».

Ces résolutions confirment que la région du Haut-Karabakh fait partie intégrante de l'Azerbaïdjan, de sorte qu'il est exigé le retrait immédiat, complet et inconditionnel des forces d'occupation arméniennes de tous les territoires occupés de l'Azerbaïdjan. Les résolutions susmentionnées condamnent également l'occupation des territoires de l'Azerbaïdjan et réaffirment le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de l'Azerbaïdjan et de l'inviolabilité de ses frontières internationalement reconnues.

La position de la France est également liée à son statut d’État membre de l’Union européenne. À cet égard, il faut souligner qu’en vertu des dispositions générales relatives à l’action extérieure de l’UE dans le Traité sur l’UE, elle s'était engagée « de préserver la paix, de prévenir les conflits et de renforcer la sécurité internationale, conformément aux buts et aux principes de la Charte de l’ONU, ainsi qu’aux principes de l’Acte Final d’Helsinki et aux objectifs de la Charte de Paris, y compris ceux relatifs aux frontières extérieures ».

En outre, le 20 décembre 1993, la France a conclu un Traité d'amitié, d'entente et de coopération avec la République d’Azerbaïdjan, selon lequel les deux Parties sont convenues de ce « qu’elles unissent leurs efforts en vue d’assurer la sécurité internationale, de prévenir les conflits et de garantir la primauté du droit international dans les relations entre Etats, respectant le principe de l’inviolabilité des frontières ».

Ces mêmes engagements ont d’ailleurs été rappelés par le Président de la République, Emmanuel Macron, lors du dîner du Conseil de Coordination des Organisations Arméniennes de France (CCAF) le 29 janvier dernier. Le Président de la République rappelait ainsi, à juste escient, qu’il ne saurait y avoir plusieurs diplomaties en France et que l’on ne pouvait mettre au même niveau des collectivités territoriales françaises et des autorités locales « d’une entité qui ne bénéficie pas de la reconnaissance internationale ».

Le président de la République rappelle ainsi une évidence qui dépasse très largement le seul cas du Haut-Karabagh. Il fait ainsi se réjouir du fait que la France, puissance normative, par excellence, reconnaisse la nécessité de ne pas faire jurisprudence en reconnaissant des entités non reconnues.

Les relations diplomatiques doivent ainsi prévaloir sur les choix de certaines collectivités territoriales qui se servent de la coopération décentralisée pour contrevenir aux engagements internationaux.

D’ailleurs, ne sont-ce pas les mêmes qui accusent mon pays d’instrumentaliser la Justice, qui contreviennent aux procédures initiées par les Préfets et ce dans un cadre strictement réglementé du contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales. Au-delà de leur caractère illégal, ces agissements, ravivent les communautarismes, font émerger une autre réalité des séparatismes qui minent la société française et mettent, in fine, à mal tous les efforts de résolution pacifique et négociée menée par la France en qualité de co-président du Groupe de Minsk.

Alors que la France réfléchit, prudemment quoique concrètement et intelligemment, à l’épineuse question du "vivre ensemble" et de l’unité républicaine, la question du communautarisme ne se pose pas que vis-à-vis de ceux qui déclare ouvertement vouloir rompre le pacte républicain qui fonde l’identité de la France. Il est, en effet, une autre tentation de repli identitaire qui existe en France: celle de l’instrumentalisation à des fins électoralistes et politiques des doléances de ressortissants étrangers de première, seconde ou troisième génération.

La prise en compte des intérêts et de l’agenda d’une communauté sur une loi française et sur une autre communauté constitue le danger le plus important auquel fait face la Ve République, comme ne cessent de le dire les premiers ministres successives et que le Président de la République a récemment réaffirmé.

La France et ses élus ne sauraient ainsi être pris en otage d’agendas hors sol, mettant en péril les principes d’égalité et l’unité républicaines auxquels ont doit tous les citoyens français, égaux en droits et en devoirs.

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