2020-10-06

Breaking news « conflit Azerbaïdjan-Arménie » : et si on essayait l’objectivité ?

Depuis le début de ce conflit Azerbaïdjan-Arménie, la parole arménienne pour information est relayée par toute la presse française, avec pour moments forts, notamment, une longue interview de Nikol Pachinian le premier ministre de la République d'Arménie, dans le Figaro, un reportage de Maryse Burgot depuis Stepanakert au "20h" dominical de France2. Et une pétition de politiques français de droite, de gauche, et du centre appelle à un soutien de l'Arménie dans les colonnes du Journal du Dimanche.

Par contre la parole azerbaïdjanaise est absente de nos médias. Or le journaliste comme l'historien, sans porter de jugement, se doit d'être dans l'objectivité, se doit d'interroger les sources des 2 parties d'un conflit, afin d'être au plus près de la réalité et de laisser le lecteur se faire librement une opinion. Il peut donc être intéressant de prendre l'attache des azerbaïdjanais pour avoir connaissance de leurs analyses, afin de les confronter à celles des arméniens largement diffusées dans les médias français.

Les observateurs azerbaïdjanais font débuter la reprise du conflit au 27 septembre, avec une Arménie attaquant sur 3 impacts les lignes de contact avec les forces azerbaïdjanaises, pour forcer l'Azerbaïdjan à intervenir. Ces vigies indiquent que le conflit a pris un tournant important avec l'attaque par tirs de roquettes, missiles balistiques depuis l'Arménie contre des villes azerbaïdjanaises. Ont été atteintes Ganja la 2ème ville du pays, la ville industrielle de Mingachevir et la région de Khizi à 100km de la capitale du pays, Bakou.Tout cela dans le but de forcer l'Azerbaïdjan à attaquer l'Arménie directement. Alors que la contre- offensive azerbaïdjanaise est menée uniquement sur son propre sol (le Haut Karabakh et les 7 provinces autour du Haut Karabakh faisant partie intégrante de l'Azerbaïdjan ), dans les territoires occupés depuis près de 30 ans par l'Arménie. La Russie se refuse alors à intervenir constatant que l'intégrité territoriale de son alliée l'Arménie n'est pas mise en cause.

Pour le côté azerbaïdjanais le bilan humain est déplorable avec des morts et des blessés, des civils atteints, qui augmentent en nombre chaque jour, avec des villages, des infrastructures, des bâtiments résidentiels, détruits. L'armée azerbaïdjanaise remporte des succès au sud du pays notamment avec la reprise de la ville de Djebrayil près de la frontière iranienne, dans une réponse forte mais proportionnée aux dires des responsables. Le président Aliev demande le retrait complet des arméniens de tous les territoires occupés par eux, avec un calendrier précis de retrait des troupes.

Pour la partie azerbaïdjanaise il ne s'agit pas comme la presse française l'annonce, d'une lutte des forces arméniennes séparatistes du Haut Karabakh qui combattent l'armée azerbaïdjanaise, mais bien de l'armée arménienne, engagée depuis Erevan capitale de l'Arménie, sur le sol de l'Azerbaïdjan, dans les 20% du territoire occupés par l'Arménie, malgré toutes les résolutions des Nations Unies depuis près de 30 ans. Les autorités azerbaïdjanaises citent le ministre de la défense arménien ayant rendu visite à ses troupes sur le champ de bataille.

L'Azerbaïdjan rejette l'idée d'un combat Arménie chrétienne contre Azerbaïdjan musulman, en arguant du fait que l'Arménie est alliée à l'Iran chiïte.Il n'y a donc pas de choc de civilisation. L'Azerbaïdjan a toujours insisté sur le muticulturalisme en prônant la cohabitation et en ayant institué le dialogue interculturel et interreligieux entre les musulmans chiïtes, sunnites, les chrétiens, les juifs au sein d'un même état laïque, la religion étant séparée de l'état.

Il s'agit donc bien pour l'Azerbaïdjan d'un conflit de 2 états du Caucase du sud qui dure depuis la chute de l'URSS, c'est à dire depuis bientôt 30 ans. Les territoires occupés par l'Arménie doivent d'ailleurs aux dires du droit international et des résolutions des Nations Unies, être rendus à l'Azerbaïdjan qui attend depuis toutes ces années la restitution sans rien voir venir. Les prétentions territoriales arméniennes sont donc très mal vécues, dans une impunité totale, alors que les autorités azerbaïdjanaises s'appuient sur l'article 51 de la charte des Nations Unies qui stipule que, lorsque l'intégrité territoriale et la sécurité d'un état sont menacées, il y a autodéfense légitime.

La raison de la reprise des combats, ces derniers jours, est imputée par les azerbaïdjanais au fait que le premier ministre Nikol Pachinian est affaibli par la situation économique et sociale de son pays en pleine crise du Covid19, aux dires même des experts arméniens. Il s'agirait donc pour lui d'une diversion, de l'occasion de resserrer autour du gouvernement l'ensemble du pays, opposition comprise, en attaquant le pays voisin, un bon ennemi éternel.

Dans le passé déjà des heurts et des combats ont eu lieu pendant quelques jours et après, sont arrivées les injonctions de la Russie pour un cessez- le- feu et une promesse de négociations effectives, suivie d'atermoiements pendant des mois qui enterrent la possible résolution du problème. Ainsi en 2016, après 4 jours de guerre et un cessez- le- feu, il a fallu attendre 2 ans pour que les chefs d'état des 2 pays se rencontrent. Pendant ce temps statu- quo et procrastination avec consolidation arménienne dans les territoires occupés.

Les analystes azerbaïdjanais jugent le pouvoir arménien . Lorsque le Premier ministre arménien actuel est arrivé au pouvoir en 2018, il a demandé aux autorités azerbaïdjanaises de lui laisser le temps de s'installer et arguant de sa popularité, et du fait qu'il n'est pas originaire du Karabakh, il a promis de résoudre la crise entre les 2 pays. Depuis il a proclamé que le Haut Karabakh c'était l'Arménie. Et il pense que des concessions lui coûteraient le pouvoir.

Quand ils regardent la France, les azerbaïdjanais peuvent être attristés car ils y voient un sentiment anti-azerbaïdjanais et ils considèrent, d'une part, que notre pays compte une importante diaspora arménienne de près de 600 000 personnes, que le lobbying va bon train , notamment au niveau électoral avec l'importance du vote arménien et dans les médias qui ont un préjugé défavorable sur l'Azerbaïdjan. D'autre part ils pensent que l'on fait à tort le lien entre l'Azerbaïdjan et le génocide arménien par l'empire Ottoman en 1915. Cependant depuis 1997 la France avec les USA, la Russie, fait partie du trio co-président du groupe de Minsk, mandaté par la communauté internationale, chargé de résoudre le conflit entre les 2 pays. Il devrait donc y avoir une position officielle de neutralité médiatrice.D'un côté,en France, des maires, en contradiction flagrante avec la loi internationale et les engagements internationaux français, ont signé des chartes d'amitié avec des localités dans les territoires occupés dans le Haut Karabakh. D'un autre côté 80% du PIB du Caucase du sud est à mettre à l'actif de l'Azerbaïdjan et les sociétés françaises sont largement présentes dans le pays et pas uniquement dans les hydrocarbures.

Quand on leur parle des puissances Russie et Turquie, les azerbaïdjanais affirment que la dernière attaque menée dans la zone frontière Azerbaïdjan- Arménie, en juillet, a été menée pour impliquer la Russie, alliée de l'Arménie au sein de OTSC, l'Organisation du Traité de Sécurité Collective (avec Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan). Sans réussite. Les premiers tirs en provenance de l'Arménie, ont simplement provoqué une réponse proportionnée de l'Azerbaïdjan et pas de réaction de la Russie. Les arméniens n'ont pas renoncé à cette idée de pousser la Russie à intervenir. Dans les jours qui viennent, doivent avoir lieu des exercices communs sur le sol arménien avec des forces armées de l'OTSC. L' Azerbaïdjan craint des incidents graves, entre autres dans les zones frontalières.

Quant au rôle de la Turquie dans le conflit, la partie azerbaïdjanaise indique qu'il s'agit de solidarité, de soutien, d'implication d'une puissance, facteur stabilisateur . La Russie va ainsi réfléchir avant de s'engager plus avant, auprès de l'Arménie.L'engagement direct de la Turquie dans le conflit est donc totalement faux. Malheureusement les fake news pleuvent et tentent de montrer l'Azerbaïdjan aidée par la Turquie, comme unique responsable. Dans la reprise du conflit, fin septembre début octobre 2020, 2 jours après le déclenchement des hostilités et les interventions arméniennes en Azerbaïdjan, il a été annoncé qu'un F16 turc était entré dans l'espace aérien de l'Arménie et qu'un SU25 avait été abattu. Or les frontières des pays de l'OTSC, face aux pays de l'OTAN dont fait partie la Turquie sont complètement surveillées par la Russie qui protège ces frontières et les zones de contacts éventuels avec la Turquie. Les renseignements aériens, les radars russes n'ont rien détecté. Pour les traces du combat aérien, aucune preuve n'a pu être apportée. De même on attend toujours du côté azerbaïdjanais la moindre preuve de la présence de djihadistes venus de Syrie, par la Turquie, pour prêter main forte à l'Azerbaïdjan. Qui plus est l'Azerbaïdjan peuplé de 10 millions d'habitants a une armée qui n'a pas besoin de supplétifs, et qui a un enseignement militaire dynamique et une motivation très grande pour libérer ses propres terres. Pas besoin de milices extérieures, apprenons-nous. Il y a en France une forte animosité envers la Turquie, mais il ne faut pas mélanger les sujets. Et les décideurs et la population azerbaïdjanais saluent l'amitié avec le peuple turc, peuple proche.

https://www.agoravox.fr/actualites/international/article/breaking-news-conflit-azerbaidjan-227575

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