2020-10-19

Turquie. Le conflit du Karabakh nourrit la rancœur contre l’Europe

L’affrontement entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan entre dans sa quatrième semaine et a déjà fait des centaines de morts. Les bombardements frappent avant tout les populations civiles, encore une fois otages de ces guerres par procuration. À Ankara et à Istanbul, nous avons recueilli la parole de personnalités et de chercheurs proches du régime de Recep Tayyip Erdoğan. Ils s’interrogent sur la « diabolisation » de la Turquie par l’Union européenne, et plus particulièrement par la France d’Emmanuel Macron, dont les propos sont dénoncés comme « irrationnels ».

ez-le-feu auquel l’Arménie et l’Azerbaïdjan étaient arrivés la veille semble avoir fait long feu. Il s’agissait d’une trêve fragile, arrachée au terme de négociations à Moscou entre les chefs de la diplomatie des deux pays, sous le patronage de la Russie, tandis que la Turquie brillait par son absence. « Une humiliation de plus », analysait Çelik, un Stambouliote fervent supporter d’Erdoğan, aux sympathies assumées pour le mouvement ultranationaliste des Loups gris. « Une preuve de plus, s’il en était besoin, que l’Europe est capable de s’effacer au bénéfice de Vladimir Poutine quand cela sert ses intérêts immédiats, explique une source proche du pouvoir à Ankara. Alors qu’elle ne manque jamais une occasion de montrer son hostilité à la Turquie. »

POUTINE À LA MANŒUVRE, L’EUROPE À LA REMORQUE

Cette amertume nourrie à l’encontre des Européens est une des raisons, et non des moindres, qui expliquent l’attitude des Turcs sur ce nouveau front ouvert dans le Caucase, au seuil de l’aire d’influence russe. Depuis quinze jours, Ankara, le siège du pouvoir, et Istanbul, le centre de la vie intellectuelle, bruissent d’une petite musique univoque qui place Vladimir Poutine au centre de toutes les conversations. Tandis que l’Union européenne est tour à tour un allié décevant et une vieille dame impuissante et candide.

« Les médias occidentaux sont focalisés sur Erdoğan, spécialement en France, où ils sont au diapason des propos diabolisants d’Emmanuel Macron », explique Enes Bayraklı, universitaire et directeur des études européennes de la Fondation pour la recherche politique, économique et sociale (Siyaset, Ekonomi ve Toplum Araştırmaları Vakfı, SETA), un think tank basé à Ankara. L’un de ses membres fondateurs, İbrahim Kalın s’est imposé comme une personnalité incontournable de la présidence, dont il est d’ailleurs le porte-parole. « On oublie qu’à son arrivée au pouvoir comme premier ministre, Erdoğan était la coqueluche de l’Occident. » Effectivement, au début des années 2000, le jeune et ambitieux leader était présenté comme un réformiste, un interlocuteur incontournable dans le mal nommé « monde arabe ». Il n’est pas impossible que son allure moderne ait infusé le biais du « bon musulman » dans l’esprit de ses vis-à-vis diplomatiques d’alors.

« Désormais, la seule façon que la France a de s’adresser à la Turquie est défiante, passant des menaces de sanctions aux remontrances infantilisantes, poursuit Enes Bayraklı. Mais qui est un réel danger pour les démocraties libérales ? La Russie interfère dans les élections étrangères, lance des raids informatiques, commandite des assassinats, annexe la Crimée, mais les dirigeants européens sont obsédés par Erdoğan, qui est devenu le miroir de leur islamophobie. »

https://orientxxi.info/magazine/turquie-le-conflit-du-karabakh-nourrit-la-rancoeur-contre-l-europe,4209

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