Jochgoun chantonne « Azerbaïdjan, Azerbaïdjan » par-dessus la chanson pop patriotique tonitruante grésillant d’un poste radio. Les yeux du jeune homme sont rivés à l’écran du smartphone, où s’enchaînent les clips de destruction de chars, de camions, de fantassins arméniens par des drones de l’armée azerbaïdjanaise. Costaud vêtu d’un jogging rouge vif, Jochgoun se penche vers son voisin de table Elnour pour lui montrer une séquence inhabituelle. « Pulvérisés ! C’est ce qu’ils méritent ! », ricane ce dernier. Le smartphone fait le tour de la table, survolant les verres de thé. Une explosion surpuissante remplit l’écran et remplace l’image où l’on distinguait une vingtaine de soldats terrés dans une tranchée. « C’est une bombe d’avion, beaucoup plus grosse que celles des drones. Les choses vont aller vite maintenant que notre aviation passe à l’action », prédit Arzou.
Les trois trentenaires sont tous originaires de Qubadli, une bourgade au sud-est du Haut-Karabakh. De ce lieu, ils n’ont que des souvenirs vagues. Ils furent contraints de le fuir très jeunes, chassés fin août 1993 par les milices arméniennes, qui vidaient alors brutalement la région de toute sa population azerbaïdjanaise. Depuis, une grande partie des exilés de Qubadli habitent Soumgaït, une ville industrielle à la périphérie nord de Bakou. Ville tristement célèbre pour avoir été en 1988 le théâtre d’un pogrom délogeant toute sa population arménienne.
« Les Arméniens ont toujours été nos ennemis. Ils nous ont volé nos terres et si nous les reprenons aujourd’hui, ce n’est que justice. Le Haut-Karabakh est azerbaïdjanais ! », tonne Jochgoun, répétant un slogan affiché à tous les coins de rue, collé sur les lunettes arrières des voitures, entonné dans la pop martiale diffusée en boucle sur la bande FM. « Nous sommes tous prêts à sacrifier notre vie pour libérer notre terre », clame Arzou. « Les rumeurs sur le recours à des djihadistes étrangers sont des mensonges. Il ne manque pas de volontaires pour aller se battre. L’armée n’a pas voulu de moi parce que j’ai servi dans la police », se justifie-t-il. Arzou et ses deux camarades se disent actuellement sans emploi. L’un était chauffeur de taxi à Moscou, le deuxième mécanicien et le troisième barman.
La musique patriotique s’interrompt un instant pour diffuser l’extrait d’un récent discours du président Ilham Aliev dénonçant les bombardements arméniens contre les civils azerbaïdjanais. « Le président est trop bon ! Notre armée ne frappe que des cibles militaires, et d’ailleurs, c’est notre territoire qui est occupé. Moi, j’aurais écrasé Erevan sous les bombes ! » Remonté comme un coucou, Elnour s’emporte contre la communauté internationale, qui soutient selon lui l’Arménie. En particulier la France. « A nous, les Russes vendent des armes ; aux Arméniens, ils les donnent. On nous a fait tourner en bourrique pendant vingt-sept ans, au profit des Arméniens. Mais maintenant l’avantage militaire est de notre côté, et rien ne peut nous arrêter.