2021-02-27

"Vingt-neuf ans après, il est temps que le massacre de Khodjaly soit reconnu par Paris"

L’accord de cessez-le-feu signé le 10 novembre dernier, signé sous égide russe, a enterré près de trente ans de conflit entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Après le temps des bombes, c’est le temps de construire la paix et d’honorer la mémoire des disparus de part et d’autre. On estime le nombre de morts en tout à près de 35 000 depuis 1992. Parmi tous ces anonymes, les morts du village de Khodjaly restent dans la mémoire de tous les Azerbaïdjanais.

UN TRAUMATISME NATIONAL

Dans la nuit du 25 au 26 février 1992, un massacre unique dans l’histoire de la région a traumatisé tout un pays. Après les indépendances en 1991 et tous les espoirs qu’elles suscitaient pour les populations de la région après plus de 70 ans de communisme, le début de la guerre avec l’Arménie, et les attaques des Arméniens vont conduire à l’occupation du Haut-Karabakh, et Khodjaly, un village de 7 000 âmes sera littéralement détruit par les forces arméniennes dans la nuit du 25 février 1992. C’est devenu un traumatisme national pour les Azerbaïdjanais comme l’expulsion de plus de 800 000 de leurs compatriotes de ces terres prises par Erevan. Le pays était fraîchement indépendant comme son voisin arménien, mais les tensions nationalistes ont donné des ailes à Erevan pour entamer la conquête de ce que l’Arménie considérait comme sienne : le Haut-Karabakh. Toute guerre fait des victimes, des crimes sont commis, mais le droit international issu de 1945 devrait à tout le moins prévenir les dérives, et faute de cela, comme c’est hélas souvent le cas, au mieux réparer des crimes de guerre et juger les coupables.

"L’Arménie a reconnu ce massacre tristement célèbre"

Malgré la paix fraîchement acquise, ce village est devenu pour Bakou le symbole de la détermination arménienne au Karabakh : 613 hommes, femmes, enfants, ont été massacrés cette nuit-là. Parmi eux : 106 femmes, 63 enfants et 70 vieillards. Fait rare dans ce type de situation : l’Arménie a reconnu ce massacre tristement célèbre désormais par la voix de celui qui deviendra son premier ministre puis président, Serge Sargsian. Comme il le disait en filigrane, jusqu’à Khodjaly, les Azerbaïdjanais étaient convaincus que les Arméniens ne s’en prendraient jamais délibérément aux civils. Puis le massacre eut lieu. Pour autant, l’Arménie a poursuivi pendant 27 ans sa politique d’occupation et continué à enfreindre le droit international, alors que le Karabakh avait été reconnu par les Nations unies dès 1993 comme pleinement azerbaïdjanais, à travers le vote de quatre résolutions.

RECONNAISSANCE DE LA FRANCE

Cette année, nous commémorons les 29 ans de cet évènement mais dans un contexte différent des précédents. Certains pays, comme la Jordanie, la Colombie, l’Indonésie, la moitié des États américains, la République tchèque, ont suivi Bakou sur ce sujet depuis des années en dénonçant ce crime, parlant de « massacres », de « crimes de masse », d’autres même de « génocide », bien que ce terme revête des motifs avant tout juridiques. Même l’Azerbaïdjan ne l’emploie plus. De plus, l’Union européenne a fait un pas vers la reconnaissance. Au-delà des mots, elle s’est engagée en 2012, par le biais de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, en dénonçant le génocide de Khodjaly par les forces armées arméniennes.

"Si la France apporte sa pierre, en toute neutralité, les victimes de Khodjaly ne seront pas totalement mortes pour rien"

Quid de Paris ? Depuis le début du conflit, Paris a eu une position ouvertement pro-arménienne, rompant ainsi la posture d’équilibre qu’elle se devait d’avoir, en sa qualité de coprésidente du groupe de Minsk. Bien que le président Macron ait salué en juin 2020 l’excellence des relations entre la France et l’Azerbaïdjan, et sa longue histoire depuis la présidence Mitterrand, il a tenté d’aider au retour de la paix en recevant le président arménien en octobre dernier. Mais quid des Azerbaïdjanais ? Qui plus est, le vote au Sénat, le 25 novembre dernier, d’une résolution appelant à reconnaître le Haut-Karabakh, entendons la République d’Artsakh, que personne ne reconnaît dans le monde, pas même l’Arménie, a quelque chose de surréaliste. Pourquoi ne pas dès lors reconnaître au moins le massacre de Khodjaly puisque même Erevan l’a fait en son temps ?

Pourquoi la France devrait-elle se maintenir dans une politique de l’autruche, un tropisme qui la dessert, et la fait perdre tout crédit d’influence dans la région ? L’Azerbaïdjan fait pourtant partie du Conseil de l’Europe, de l’Organisation internationale de la francophonie, et un lycée français a été inauguré dans la capitale par le président François Hollande en 2014 en la présence du président Ilham Aliyev. Emmanuel Macron, ou son successeur, devra à l’avenir faire de même, en tant que coprésident du groupe de Minsk, et veiller au mieux à faire respecter le droit international dans la région, et reconnaître Khodjaly comme même les Arméniens l’ont fait. Si la France apporte sa pierre, en toute neutralité, les victimes de Khodjaly ne seront pas totalement mortes pour rien.

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