2022-09-22

L’Azerbaïdjan considère que la guerre est terminée et se projette dans la paix et la coopération avec l’Arménie

Rahman Mustafayev, ambassadeur d’Azerbaïdjan en France : « La cause principale de la guerre a été éliminée et le conflit est donc résolu. »

S’il y a un pays dont on parle beaucoup, souvent sans le connaître, et qui intrigue, c’est bien l’Azerbaïdjan. Peut-on craindre un nouveau risque de guerre avec l’Arménie depuis que des incidents se sont produits à la mi-septembre ?

C’est donc un entretien important que Son Excellence Rahman Mustafayev, ambassadeur d’Azerbaïdjan en France, vient d’accorder à Yannick Urrien au micro de Kernews. Les propos de l’ambassadeur sont à souligner, car il précise que l’accord du 10 novembre 2020 n’était pas un « cessez-le-feu » entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, mais une déclaration de paix entre les deux pays. Il indique que ce conflit était territorial, aucunement religieux, et que maintenant les Arméniens qui vivent dans le Karabagh de l’Azerbaïdjan sont considérés « comme des citoyens de l’Azerbaïdjan avec les mêmes droits et les mêmes devoirs ». Rahman Mustafayev dit être convaincu que les relations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan seront demain équivalentes à celles que connaissent aujourd’hui la France et l’Italie, ou la France et l’Espagne.

Par ailleurs, Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a fait une visite importante à Bakou en reconnaissant que l’Azerbaïdjan est un partenaire fiable et Bakou s’est engagé à doubler ses exportations de gaz. Dans ce partenariat, Rahman Mustafayev estime que la France peut jouer un rôle essentiel pour la reconstruction du Karabagh.

L’invité de Yannick Urrien du mercredi 21 septembre 2022

L’Union européenne considère l’Azerbaïdjan comme un partenaire fiable, stable, et important pour l’approvisionnement des ressources énergétiques

Kernews : La présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a récemment scellé un accord de sécurité énergétique avec l’Azerbaïdjan, qui a été l’un des premiers pays à soutenir l’Ukraine. Quel est cet accord ?

Rahman Mustafayev : C’était une visite importante de la présidente de la Commission européenne à Bakou. Un mémorandum des intentions a été signé entre les deux parties, l’Union européenne considère l’Azerbaïdjan comme un partenaire fiable, stable, et important pour l’approvisionnement des ressources énergétiques. L’Azerbaïdjan a montré sa position fiable de fournisseur de gaz naturel, pour les huit premiers mois de l’année 2022, l’Azerbaïdjan a exporté vers l’Europe plus de 14 milliards de mètres cubes de gaz naturel, ce sont principalement l’Italie, la Grèce et la Bulgarie qui consomment notre gaz naturel. Nous avons décidé, avec Madame Von der Leyen, de doubler les volumes de gaz exportés vers l’Union européenne, pour aller jusqu’à 28 milliards de mètres cubes de gaz. Vous savez qu’avec la construction du corridor gazier du Sud, par lequel nous fournissons l’Europe en gaz naturel, l’Azerbaïdjan a aussi beaucoup soutenu les économies européennes en investissant massivement dans les infrastructures de nombreux pays. Les compagnies italiennes se sont vu attribuer des contrats d’une valeur de 8 milliards d’euros. Pour l’Albanie, c’est 2 milliards d’euros, et la Grèce 1 milliard. Donc, c’est aussi une contribution économique.

L’Azerbaïdjan est-il en train de se rapprocher davantage de l’Europe ?

Au cours de cette visite de Madame Von der Leyen, nous avons décidé d’élargir la coopération économique entre l’Azerbaïdjan et l’Union européenne en développant notre partenariat dans les secteurs de la logistique et du transport. L’Union européenne va nous soutenir dans la reconstruction du port de Bakou, parce que l’Azerbaïdjan joue un rôle important de pont entre l’Europe et l’Asie centrale. C’est un rôle stratégique et nous sommes prêts à jouer ce rôle qui est de contribuer à l’élargissement des relations économiques entre les pays d’Asie centrale et l’Union européenne. Dans ce contexte, nous continuons notre travail avec l’Union européenne sur l’accord stratégique de partenariat bilatéral et un accord sera signé au cours des prochains mois.

On sait que l’Azerbaïdjan est proche de la Turquie et d’Israël, on dit que les relations sont bonnes avec l’Europe et les États-Unis, mais qu’elles sont plus difficiles avec l’Iran ou la Russie. Est-ce exact ? Comment peut-on situer l’Azerbaïdjan sur le plan géopolitique ?

Vous avez bien expliqué le rôle de notre pays comme étant un carrefour géopolitique entre l’Asie centrale et l’Europe, mais aussi entre la Russie, l’Iran et la Turquie. C’est un triangle géopolitique très important et nous essayons de jouer le rôle d’un pays d’équilibre. Nous avons des relations équilibrées avec tous les pays de cette région. Nous avons lancé l’initiative 3 + 3, c’est-à-dire trois pays du Caucase du Sud (Azerbaïdjan, Arménie et Géorgie) et trois pays de voisinage (Russie, Turquie et Iran) pour créer des relations de coopération. Cela montre bien que nous sommes au centre géopolitique de cette région en essayant d’apporter la stabilité, la sécurité et le développement.

L’Arménie a signé cette déclaration en promettant de retirer ses formations militaires illégales de l’ancienne zone occupée et la majorité des forces arméniennes ont quitté les régions libérées, mais il y a quand même des formations illégales de 300 à 400 militaires arméniens qui sont toujours dans la zone du Karabagh de l’Azerbaïdjan.

Les commentateurs occidentaux déclarent que la guerre a repris entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, en accusant votre pays d’être à l’origine des hostilités, ce que vous démentez. Quelle est votre version ?

Vous connaissez cette phrase célèbre du théoricien militaire prussien Carl von Clausewitz, qui disait que la guerre est une continuation de la politique, mais par d’autres moyens. Cette provocation qui s’est déroulée dans la nuit du 12 au 13 septembre était aussi un prolongement de la politique arménienne, mais par d’autres moyens. Depuis le début de la fin de la guerre de 44 jours, avec la déclaration du 10 novembre 2020, l’Arménie résiste à la mise en œuvre des dispositions principales de ce document. D’abord, il y a la question du déminage. Jusqu’à maintenant, l’Arménie ne nous a pas donné les véritables cartes des champs de mines et, deux ans après la fin de cette guerre, nous avons déminé seulement 5 % de la zone minée. Nous avons déjà perdu 240 citoyens azerbaïdjanais qui ont explosé sur les mines posées par les Arméniens. C’est le premier point de cette déclaration, qui n’a pas été mise en œuvre par les Arméniens. L’Arménie a signé cette déclaration en promettant de retirer ses formations militaires illégales de l’ancienne zone occupée et la majorité des forces arméniennes ont quitté les régions libérées, mais il y a quand même des formations illégales de 300 à 400 militaires arméniens qui sont toujours dans la zone du Karabagh de l’Azerbaïdjan. Ensuite, malgré l’accord qui a été conclu, il y a toujours une résistance à l’ouverture des voies de communication et de transport entre les deux pays. Pourtant, le Premier ministre arménien, Monsieur Pachinian, a signé cette déclaration. Finalement, la disposition la plus importante, c’est que l’Arménie refuse de commencer le dialogue avec l’Azerbaïdjan sur la délimitation des frontières d’État entre les deux pays. Nous avons proposé un principe de base : le respect réciproque de la souveraineté de l’un et de l’autre, l’intégrité territoriale, l’inviolabilité des frontières d’État, l’établissement des relations diplomatiques et des relations économiques et culturelles normales entre les deux pays. Jusqu’à maintenant, l’Arménie résiste à commencer un dialogue avec l’Azerbaïdjan sur tous ces sujets. Alors, qui est intéressé à la paix et à la sécurité et qui ne l’est pas ?

Le conflit a été résolu militairement sur la base de la charte des Nations unies qui nous donne le droit naturel de nous défendre légitimement

Dans la résolution de ce conflit, il devait y avoir l’intervention du groupe de Minsk, composé des États-Unis, de la Russie et de la France. Cela fait des années que cela dure. Or aucune solution n’a été trouvée, puisque ce traité de fin de guerre a été signé sous l’égide de la Russie. Pourquoi l’Azerbaïdjan ne reconnaît-il pas maintenant ce groupe de Minsk ?

Notre position sur la question du groupe de Minsk et de l’ancien conflit est très claire. Le conflit a été résolu parce que sa principale cause a été éliminée. En 1993, quatre résolutions du Conseil de sécurité ont été adoptées et les principales d’entre elles ont été réalisées : c’est-à-dire que sept districts de l’Azerbaïdjan anciennement occupés par l’Arménie ont été libérés. La cause principale de la guerre a été éliminée et le conflit est donc résolu. Aujourd’hui, il n’y a plus de conflit. Par conséquent, comme le conflit est résolu, nous ne voyons plus la nécessité du groupe de Minsk, puisque le mandat du groupe de Minsk était de résoudre le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan par des moyens non militaires. Cela ne s’est pas produit, puisque le conflit a été résolu militairement sur la base de la charte des Nations unies qui nous donne le droit naturel de nous défendre légitimement. Notre président a résumé cela en disant : « Nous ne disons pas au groupe de Minsk merci et au-revoir, nous lui disons simplement au-revoir ».

Nous sommes bien disposés pour un dialogue actif et une coopération efficace avec Paris

Quel peut être maintenant le rôle de la France dans le processus de normalisation des relations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ?

La France pourrait jouer un rôle important dans le processus de normalisation entre les deux pays. D’abord, je voudrais dire qu’après la guerre de 44 jours, il y a deux formats sur lesquels nous travaillons avec l’Arménie dans le processus de normalisation. Il y a la déclaration du 10 novembre 2020 et il y a aussi le format de Bruxelles sous l’égide sous l’égide de Monsieur Charles Michel, président du Conseil européen. Nous considérons la France comme un élément essentiel du format de Bruxelles, parce que c’est une grande puissance diplomatique et économique. Elle peut avoir une influence efficace sur le processus de normalisation des relations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. La France joue un rôle dans le renforcement des mesures de confiance. La France peut aussi jouer un rôle important dans la reconstruction de notre région. Nous sommes bien disposés pour un dialogue actif et une coopération efficace avec Paris. Je répète encore une fois que nous sommes dans une phase d’après conflit et d’après-guerre…

Alors que les médias français sont encore dans la description d’une phase de guerre contre l’Arménie de la part de l’Azerbaïdjan…

En France, il y a cette thèse selon laquelle cette déclaration du 10 novembre 2020 était un cessez-le-feu. Ce n’est pas correct. Il s’agit d’une déclaration qui met fin au conflit en prévoyant le retrait des forces d’occupation.

Un cessez-le-feu est souvent interprété comme une trêve provisoire dans un conflit qui est amené à reprendre…

Exactement. Maintenant, nous sommes sur la question du retrait des forces d’occupation, sur l’établissement des liens économiques, sur le déblocage des voies de transport, sur le déminage et sur la reconstruction de cette région. Nous sommes dans la phase de reconstruction d’après-guerre.

Si l’Arménie répond positivement à notre appel, la vie normale s’établira dans notre région

Beaucoup de gens pensent que ce conflit est religieux et expliquent que l’Azerbaïdjan est un pays islamiste qui veut s’attaquer à un pays chrétien en détruisant les croix et en s’attaquant aux églises. Que leur répondez-vous ?

Même quand ce conflit existait, donc entre 1993 et 2020, ce n’était pas un conflit religieux, puisque vous savez que l’Azerbaïdjan est un pays tolérant dans lequel existent différentes communautés ethniques et religieuses. C’est un pays dans lequel les juifs, les orthodoxes, les protestants, les sunnites ou les chiites vivent dans l’harmonie dans une coexistence pacifique. Ce n’est pas du tout un conflit entre les religions. Le seul conflit qui existe aujourd’hui dans notre région, et qui déstabilise le Caucase du Sud, c’est le conflit entre l’Arménie et le droit international. Nous avons déjà proposé aux Arméniens de lancer un dialogue sur les principes de base et nous avons lancé la proposition d’avoir la même coopération qui existe aujourd’hui entre la France et l’Espagne, ou la France et l’Italie : c’est-à-dire le respect réciproque de la souveraineté de l’intégrité territoriale, la coopération économique et culturelle, et une vie normale entre les deux pays. C’est notre philosophie. Si l’Arménie répond positivement à notre appel, la vie normale s’établira dans notre région. Vous avez visité Bakou et vous savez bien qu’il y a une église arménienne, avec une communauté chrétienne, alors que je doute qu’en Arménie la communauté musulmane puisse fonctionner aussi librement.

Il y a une égalité totale entre les Azerbaïdjanais et les Arméniens, entre toutes les minorités ethniques et religieuses dans notre pays

Comment imaginez-vous les relations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan dans dix ou vingt ans ? Peut-on espérer que les deux pays deviennent réellement amis ?

Je suis certain que cette période de turbulences va passer et que nous aurons des relations normales entre les deux peuples. Il ne faut pas oublier que nous sommes voisins depuis des siècles. Il n’y a pas d’autre option que de vivre ensemble en paix, dans la coopération et l’harmonie, et je veux dire que pour les Arméniens qui vivent aujourd’hui dans la région du Karabagh de l’Azerbaïdjan, notre philosophie est de les intégrer dans l’espace économique social et juridique de l’Azerbaïdjan. Nous les regardons et nous les considérons comme des citoyens de l’Azerbaïdjan, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. Il y a une égalité totale entre les Azerbaïdjanais et les Arméniens, entre toutes les minorités ethniques et religieuses dans notre pays. Notre vision est celle de l’égalité devant la loi. Je pense que tout cela sera rétabli très prochainement.

 

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